Réalisme et libéralisme : conversation matutinale avec une pute. O’Stop, Marseille.

De Mimi

Quiconque pose le pied à Marseille et aime un tant soit peu la vie et la nuit, se doit de connaître le O’Stop. Juste en face de l’opéra, en plein quartier des bars à hôtesses et/ou à karaoké années 80, façon Nostalgie Nostalgie, c’est un des rares restos ouverts 24/24 de la ville. Y transite une faune étrange, alcoolisée, parfois désespérée, qui va des fêtards, aux putes, aux gros méchants, aux couples perdus, aux touristes tourmentés, à tous ceux en bref, qui ont besoin de la chaleur d’un sandwich boulettes au cœur de la nuit pour se rappeler un instant qui ils sont, où ils vont, et que ça ira mieux demain. A différents titres, c’est un endroit que je fréquente et que j’aime. Un rade de salut, en bas de chez moi : la sécurité que peut offrir à ceux qui le veulent bien des patrons improbables et gentils (qui cherchent encore mes lunettes de soleil égarées il y a un mois dans les 30 mètres qui séparent le comptoir de mon lit), et trois golgoths hongrois payés par lesdits patrons pour que la sauce des boulettes ne tourne pas trop souvent au vinaigre.

Un petit matin donc, vers 4h, j’échouai au rade, vapeurs d’alcool qui me décillent les yeux, fumet de tomate imprégnant le pain, réconfort des frites tout aussi maison que la mayonnaise. Au bout du comptoir, une femme. Belle encore, la cinquantaine brune et fière, pattes d’oie, un carré de cheveux un peu trop soigné pour l’heure rebelle et fatiguée, maquillage impeccable. Face au naufrage que je suis, elle brille, sourit, gouaille marseillaise mâtinée d’accent arabe. Elle se plaint. Du prix de la passe par les temps qui courent. Me dit que c’était mieux avant, mais que les hommes sont toujours gentils quand ils te payent. Jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus. Que finalement, pute, c’est pas mal mais que ça fatigue. Elle doit avoir du métier derrière elle, pas d’illusions mais pas de cynisme non plus. Ou en tout cas pas ce soir. Elle trouve que la concurrence a fait du mal, me dit que la pipe est à 10 euros dans le quartier en ce moment. Je trouve que c’est peu. Elle complète la grille tarifaire : 50 euros pour baiser. Vraiment peu. En même temps, je n’ai pas de point de comparaison… la dernière fois que j’avais discuté avec une prostituée, c’était à Paris il y a quelques années, une fille mineure, de je ne sais plus où en Europe de l’Est, et on n’avait pas parlé prix, juste un petit café dans un bar obscur de la Porte de Clignancourt, pour se réchauffer. Mais là encore, pas de plainte, juste de la résignation.  Réalisme. Au comptoir du O’Stop, la dame me pose des questions sur ce que je pense de la prostitution estudiantine. Je crois que je n’ai pas eu la force de continuer à bafouiller, mâchouillement de pastis. Je lui ai dit, il me semble, que je la trouvais très élégante. Et je suis rentrée, semi-rampant, faire corps avec mon lit, seule, les yeux du chat allumés dans l’obscurité, braqués sur l’espace vide à ma gauche.