Pourquoi est-ce que descendre de vélo peut s’avérer si compliqué? ou la balade à Strasbourg avec ma sœur

De Mimi

Cher Guillaume,

Le problème de mon rapport compliqué à la logique dominante est depuis très longtemps sujet de plaisanteries et de prises de tête régulières avec ma sœur. D’aussi loin que je me souvienne, elle a toujours eu une logique implacable et efficace quand la mienne était notoirement tarabiscotée et proprement inefficace, d’un point de vue de rendement immédiat. Et donc parfaitement ridicule, la plupart du temps. Il faut dire en plus, pour bien comprendre les enjeux de ce qui suit, que je suis extrêmement susceptible quant à mes capacités à réaliser certaines choses comme : planter un clou ; faire une opération simple  ; monter une étagère ; faire sortir le fil de la canette de la machine à coudre ; faire l’ourlet idoine ; faire passer un fauteuil, nouvelle et excitante acquisition obtenue à un prix dérisoire, par l’escalier de l’immeuble  ; enfiler les lacets d’une paire de baskets ; ranger les affaires dans un camion de 18 m3 pour déménager 22 m3 ; faire tenir en urgence une étagère fourbe qui s’écroule juste avant un dîner à la maison ; et, donc, descendre de vélo du bon côté.

Parce que oui, il y a un bon côté pour descendre de vélo : celui où il n’y a pas de mur… ni de pot de fleurs… ni un autre vélo… ni une rivière… ni un enfant… ni un foutu poney… ni une marche… ni, a fortiori, la Cathédrale de Strasbourg.

Tu me diras : « Mais Myriam voyons ! Ça se voit un poney ! »

Je te répondrai : « Peut-être, mais pas autant, en théorie, que la majestueuse, rougeâtre, râpeuse, dure, agressive, foutue, Cathédrale de Strasbourg. »

Oui mais bon, ce n’est pas parce que l’obstacle est visible qu’il est aisé de l’éviter. Ni de descendre du vélo du côté où il ne se trouve pas. L’obstacle.

Ma sœur me fait remarquer, à juste titre comme toujours, qu’en fait les objets énormes, par leur énormité même, perdent leur identité d’obstacle. C’est comme s’ils n’existaient pas en réalité : trop gros pour être vus, compris, intégrés, évités. Dans cette clairvoyante optique, le problème n’est donc pas la cathédrale : le vrai ennemi, c’est le vélo.

Le vélo est un engin traître, plein de bouts de métal incongrus qui se plantent dans la chair à tout moment (j’exècre les pédales crantées ), de selles douloureuses, d’antivols pénibles, de caoutchoucs de guidon qui brûlent les mains au bout de 2,5 minutes, de garde-boues pointus, de chaînes graisseuses dévoreuses vengeresses de bas de pantalons…

Bref, le vélo est un animal sauvage, hostile et menaçant qu’il faut dompter avant qu’il ne se décide à te transbahuter d’un point A à un point B, et de mauvais gré encore. Et surtout, surtout, qu’il daigne te laisser descendre ! Une vraie teigne!

Par ailleurs, parce que je vous vois venir, le premier qui dit qu’il n’y a pas de mauvais outil, que de mauvais ouvriers, peut toujours ricaner : il n’a jamais vu luire l’œil torve du marteau dans l’ombre, lorgnant le pouce, dédaignant le clou, et jetant toute sa rage dans l’écrasement total dudit pouce! S’il l’avait vu, bienheureux les ignorants, il ferait moins le malin…

Ainsi, telle Zola, j’accuse les objets de pouvoir être des ennemis sans foi ni loi, comme les cathédrales, n’en déplaise aux scepti-logiques. Ils se déguisent en inoffensifs non-obstacles, tapis dans l’obscurité de leur sourde volonté de vengeance contre leurs créateurs, attendant l’heure propice pour mieux te mettre des bâtons dans les roues, ou des roues dans les bâtons, c’est selon, à l’heure humaine et douce où l’envie d’un vin blanc chaud te tenaille.

 

Bien sûr, d’aucuns, ma sœur en l’occurrence, maintiendront que c’est juste moi qui ai un souci de logique élémentaire. Que la cathédrale n’y est pour rien si, quand le vélo condescend à ma descente, je me retrouve coincée entre cette teigne et le non-obstacle; obligée, par surprise, de tenir le vélo d’une main par la selle et de tourner autour pour me dégager. Parce qu’évidemment, le vélo veut se laisser choir mollement en plus: pas suffisant que je me sois déjà méchamment râpé la moitié de la jambe contre le mur que l’Eglise catholique a cru bon de devoir dresser entre moi et un bon gobelet de vin aux épices ! La réponse papiste à l’alcoolisme rampant? Tempérance forcée par envoi aux urgences pour cause de lésion importante du mollet droit par pédale crantée, suivie de chute et intrusion de guidon caoutchouté dans… l’œil! Ah, ça vous guérit de l’envie immédiate d’un verre, c’est sûr! Beaucoup moins sûr, en revanche, que le fait de se savoir cernée par tant de périls animés et inanimés ne vous envoie pas tout droit dans le premier rade à portée de vue cyclopéenne, à la sortie de l’hôpital!

Tout ce que j’espère c’est que les lambeaux de ma chair martyrisée orneront pour les siècles des siècles les parois de l’église, et deviendront reliques et destination de pèlerinage pour les vaincus des choses. RIP, mollet.

 

Interruption de l’effusion mentale sur l’ordre des choses et du self-apitoiement: ma sœur, toujours prompte à l’action/réaction : « Non mais t’es sérieuse sœurette ? Comment t’as fait pour te retrouver entre le vélo et le mur ? »

Évidemment, elle était parfaitement intacte, guillerette, élégante, ayant sauté négligemment de sa monture bien dressée, et avait instinctivement perçu la menace cathédralesque. Elle, en route joyeuse, déjà, vers les bretzels tièdes, tendres et accueillants, et un verre de vin chaud. Moi, échevelée, blessée dans ma chair et mon honneur, sans parler de ma dignité bafouée, le rouge au front de penser qu’encore une fois je faisais la preuve de mon inutilité pratique. Dépitée donc. D’où émergence d’un second problème urgent après les réflexions sur ma manie de faire systématiquement des digressions mentales longues comme un jour sans pain, m’obligeant pendant tout ce temps à continuer de tourner autour du pot/vélo, dont je viens de m’apercevoir que je le tiens toujours par la selle : comment lui faire comprendre que ce n’est pas de ma faute ? Que les objets, tous, se sont ligués contre moi cet après-midi de décembre pour que tout le monde, hommes, choses et animaux, se moque de moi?

Je lui dis: « Mais c’est pas de ma faute, je te jure! Ça paraissait logique sur le moment! »

Alors je sens bien qu’elle a plus confiance en le vélo, amazone accomplie qu’elle est, et en la Chrétienté toute entière, adepte du pari pascalien que je suis d’habitude, qu’en ma capacité à ne pas entrer en collision latérale avec l’un ou l’autre…

Bien sûr, elle a raison.

Alors il ne me reste plus qu’à tenter de ne pas me faire remarquer; à ne pas offrir une nouvelle faille à exploiter; à courber l’échine sous les grincements sarcastiques du vélo, plein de la certitude de sa toute-puissance; à affronter une dernière fois, abattue par tant d’incompétence, le regard amusé, quoique teinté d’une légère et légitime inquiétude, de ma sœur.

Et à rentrer à pied, l’énormité de mes propres obstacles sur le dos. Sans avoir eu même le réconfort d’un vin chaud tant escompté.

 

LE JEU DE L’ETE: Sauras-tu remettre ces parenthèses à leur place originale dans le texte qui précède? Les suggestions sont les bienvenues dans les commentaires, y compris pour de nouvelles parenthèses! A vos claviers!

– (« J’te jure que ça passe ! Au pire, on gratte un peu le mur, il manque à peine 2 millimètres! »)

– (« Noon… j’ai pas juste jeté les trucs à l’arrière ! Et oui, je sais, vous m’offrirez une liseuse électronique pour mon anniversaire… Mais remarque que cette fois, j’ai pas mis mes livres dans des cartons, je les ai ficelés en petits paquets de 10 !»)

– (5.5 x 4 par exemple)

– (Oui! N’ayons pas peur des mots ni des comparaisons improbables! Entrons dans la lumière!)

– [ rien à voir avec George Michael…]

-(« Oui, je sais, c’était astucieux de prendre le pied arraché pour le coincer entre le mur et l’étagère pour la faire tenir mais promis, je vais pas laisser ça comme ça… ! »)

– (non, non, vraiment aucun rapport…)

– (Oui oeil.! Je vous voyais venir avec votre esprit de folle tordue, encore en train de filer la métaphore georgemichaelesque… Vraiment, vous êtes incorrigibles.)

– (ici, sur la potentialité du dommage réparable par Leurs Béatifiantes Sanctitudes)

– (s’il y a des mini-poneys, il peut bien y en avoir de gigantesques après tout : logique ultime qui « qui peut le moins, peut le plus »)

– (et de la même façon sur les deux chaussures si possible…)

– (« Gnarf, gnarf, gnarf!! » m’en paraît la meilleure transcription possible.)

Ce texte sans prétention aucune doit beaucoup à ma sœur et à mon admiration pour Georges Perec et Eduardo Mendoza qui, les pauvres, ne s’y reconnaîtraient jamais!

L’heure diverse

De Myriam à Guillaume

 

Cher Guillaume,

 

Je suis en r’tard en r’tard comme disait le Lapin. Je suis en retard de quelques réponses à tes tergiversations. Alors aujourd’hui, je passe en mode Lièvre de Mars-avril et on y va, confiture sur le nez à l’heure du thé: parlons de la fuite du temps et de l’heure d’hiver.

De fait, je te lisais et me disais que je fait partie de ces gens que tu mentionnes et qui ont beaucoup de mal avec les changements d’heure annuels. Pour te dire, je mets toujours quelques mois à changer l’heure sur l’horloge de ma cuisine: ça m’angoisse de savoir que même le temps n’est pas stable. Bien sûr, je sais bien que cette ellipse n’est due qu’à une certaine conjoncture politico-économique, mais ça non plus ça ne rassure pas. Quand le pouvoir autoritaire et injonctif de l’Etat va jusqu’à pouvoir tuer une heure pour la ressusciter quelque mois plus tard, c’est quand même inquiétant. Et je suis quelqu’un de très inquiet et angoissé de nature, sous ce léthargique vernis.

Alors ça m’inquiète toujours cette histoire d’heure qui s’évapore. D’autant plus que, quand on est, comme moi, passablement instable, on se raccroche comme on peut à des choses qui semblent immuables, doudous ordonnés: le lever du soleil chaque jour; la mer immense; les cartographies; le goût des choses que l’on boit et mange; le poids du chat sur la couverture le matin; la sensation du papier des livres sous les doigts; le goût du sel sur la peau après la baignade; la croissance des plantes; allumer les lampes dans un ordre précis, dans le salon, quand le soir tombe dehors; la brûlure du feu de bois sur les mains; l’odeur acide du café qui coule le matin; le petit clic de la mollette de la radio qu’on met en marche; la vaisselle solitaire et furieuse qui conquiert l’évier vaincu; le poids des sacs de courses au bout des bras, qui retourne les coudes; la chaleur palpitante et joyeuse des corps amis; les miettes de tabac et les grains de sucre qui s’incrustent sous les ongles quand on cherche les clefs au fond du sac; le vol des mouettes devant la fenêtre et les yeux jaunes du chat qui s’allument en les regardant passer, oublieuses du danger, comme ceux de l’amant au plaisir; le roulis des vagues sur les pieds nus rougissant; les visages modelés dans le sable; le reflet de la nuit sur le bitume des trottoirs vides; l’odeur de pluie, de poussière de ville et de feuilles sèches après les orages d’été; le silence des oiseaux.

Le sens de l’ordre vire à l’obsession chez les étrangers à l’équilibre, celui de la symétrie est une griffure qui se prolonge, un malaise sourd, immédiatement étouffé par le rétablissement de l’alignement des tableaux sur le mur, le retour discret d’une heure enf(o)uie, forget-me-not du passage du temps. Alors on se remet à aimer: que les gens répondent au téléphone; que les objets brisés gisent, immobiles et résignés juste sous les yeux;  que la flammèche du gaz éclate à la première semonce électrique, sous la casserole où doivent rissoler les oignons de la soupe; leur doux chuintement satisfait quand ils se décident à cracher l’eau de leur végétation; les chansons, toujours les mêmes, pour chaque état du corps et de l’esprit; l’encre rétive sur les doigts, les jours de cours; le moment suspendu au-dessus du vide où toutes les pièces d’un puzzle s’emboîtent enfin parfaitement; celui où on pleure juste quand il faut devant un film, où on ne rit pas quand il faut; le sifflement régulier du vent sous la porte; les motifs labyrinthiques des tapis; compter les marches, toutes les marches de tous les escalier et constater avec soulagement qu’encore une fois, il y en a 18 entre les deux étages; le cliquetis du passage des minutes à la montre au poignet droit, la nuit, sous l’oreiller; le sentiment glorieux de la cuisson parfaite des pâtes; arriver juste une minute avant l’heure dite à un rendez-vous à l’autre bout de la ville en ayant pris les transports; acheter des fruits au marché et que le vendeur tombe pile sur un kilo, comme ça; découvrir un livre à l’envers dans la bibliothèque et le remettre à l’endroit; faire mat avec un pion oublié dans un coin de l’échiquier et effacer le petit sourire satisfait de l’adversaire en le transformant en un pli amer de matador encorné par une maigre vachette; prendre le bon chemin dans les couloirs oubliés du métro, plongée dans la stupeur d’une nuit trop courte et trop pleine; les routes désertes et le regard fixe par la fenêtre passager d’un véhicule en mouvement, stroboscopiques arbustes qui impriment leur ombre portée sur la rétine paresseuse.

Alors en fait, cette heure d’hiver perdue contient tout ça, toutes ces choses qui font que la vie est plus que ce qu’elle ne dure, qu’elle s’étend au-delà du temps ligné. Escamoter cette heure c’est réduire, non le temps mais l’étendue physique du temps, son sens.

Alors je la pleure cette heure disparue. Elle laisse dans son sillage l’odeur anisée des promesses de l’été qui vient. A son retour, elle a l’odeur des châtaignes rôties et des feuilles mortes. Oui, c’est ça, cette heure est une odeur, celle de ma vie qui passe. Elle rallonge l’hébétude des nuits d’hiver et l’aveuglement solaire des jeunes après-midi de printemps. Et pourtant, la longueur comptable du jour ne change pas. C’est l’ordonnancement du temps qui bouge, qui vient pousser encore ce que la Nature fait très bien toute seule: allonger la lumière. Nous agrandir les pupilles pour s’emplir de cette lumière, pour ne pas se détruire quand elle se sera épuisée de nous lécher. Pour qu’on garde quelques feuilles sur le dos pour quand il fera froid. Pour qu’on se rappelle qu’il y a toujours un lendemain. Pour que l’on se souvienne qu’il faudra vivre encore pour apaiser nos corps douloureux aux dardements du soleil. Qu’ils reviendront, le goût du sel sur nos peaux et le vent doux dans nos cheveux. Comme reviendront la morsure du feu et l’humidité glacée qui monte des soirs de novembre.

 

Besito

L’ETAT N’EXISTE PLUS !

Ma Chère Myriam,

Loin de moi l’intention de t’accabler de mes questionnement juvéniles, complotistes, absurdes, paradoxaux ou tout simplement idiots. Il n’empêche qu’une fois encore, il y a cette question qu’il me plairait de soumettre à ta synaptique mécanique.

Bien que la douceur de la vie me grise et que ma misanthropie galope, il m’arrive parfois de brièvement toucher la satisfaction. Ce sentiment d’être à sa place exactement. Ce soir-là dans mon fauteuil club, buvant, fumant, le combiné de mon Socotel à l’épaule, ce soir-là, je frôlais le contentement. Je discutaillais avec Sasha G.* de bouffe,  de cul, d’institutions européennes et de régulation de marchés. Notre échange des plus délectables devint quasi jouissif, lorsque naquit de sa bouche cette langoureuse affirmation : « Mais Guillaume, l’Etat n’existe plus! »

Cocasse pour une aspirante à Science Po Paris, tu en conviendras, mais il me tarde d’autant plus de connaître l’analyse de l’aficionada du droit constitutionnel que tu es, garant de l’existence dudit Etat. Ainsi je me permettrais de reformuler ce lyrisme sans concession sous la forme interrogative, plus propice peut-être à la discussion :

«L’état existe-t-il encore?»

Au vu de ce vaste chantier, de ce pavé dans la mare, que dis-je dans la mer! Tu imagines aisément le branle bas de combat dedans ma caboche lorsque ces mots vinrent me claquer le tympan!

L’Etat, qu’est-ce que c’est? De quel Etat parle-t-on? De la France, de l’Europe? Une autorité législative issue d’une constitution démocratique?

Exister… Comment existe-t-il? Où existe-t-il? Quelles sont les preuves de son existence? Comment ça il n’existerait plus? Peut-il être sans pour autant exister? Ca chauffe, ça chauffe, je me calme.

Pourtant, cet Etat est bien réel, lorsqu’il impose la Rigueur à ses citoyens. Lorsque par son action de législateur, des millions de familles se retrouvent dépouillées, envasées dans la pauvreté, il existe là l’Etat! Peut-être s’agirait-il du lieu, du champ d’action? L’Etat existerait pour ces citoyens lambda, pour la plèbe, mais pour les grands de ce monde, son existence serait moins évidente? Ce qui me renvoit à Jean-Michel Naulot* qui lui aussi, comme Claire, affirme que l’Etat, les politiques ont laissé le terrain libre aux acteurs des marchés. Qu’ils leur ont délégué le pouvoir sans aucune contrepartie. (Je n’ai pas la citation exacte, mais m’engage à la retrouver dès que Claire m’aura rendu mon foutu bouquin!) Et c’est là, que même si je ne veux pas jouer au plus finaud avec Naulot,  quand la BCE (Banque Centrale Européenne) en baissant au minimum les taux directeurs, donne de l’argent gratuit aux spéculateurs, en gros refile du savon aux faiseurs de bulles, ceux-là mêmes qui prescrivent la rigueur comme remède à tout: il existe bien là aussi l’Etat, le politique, même dans ce no law’s land que sont les marchés financiers.

Donc premier constat rassurant: ouf! l’Etat existe toujours… Certes il semble pour le moins partial et très peu représentatif de ce que j’appellerais une volonté démocratique mais puisqu’il vole les uns pour redistribuer aux autres, sorte de Robin des Bois bipolaire, il est et existe!

Ainsi ma chère Myriam, même si je ne suis qu’un gueux, il semblerait que notre amie Sasha à force de gavage intellectuel, s’en est faite confire l’encéphale à la façon d’une oie. Car de toute évidence, en tricotant vite fait le fil de son idée, séduisante au demeurant pour un anar’ de mon espèce, on se rend vite compte que notre canette provinciale fraîchement montée à la grosse ville a beau se donner des airs d’érudite, elle est complètement à côté de sa mare.

A moins que, dans ma précipitation d’andouille, ce ne soit moi qui soit en train de barboter la poussière. Peut-être que par «L’Etat n’existe plus» notre clairvoyante anatidé, loin d’annoncer la mort de l’Etat en tant qu’institution des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif, me désignait sa déchéance, l’abandon de sa souveraineté, sa capitulation sans condition.

En effet l’Etat, d’un point de vue purement administratif, et ce malgré les hordes condescendantes d’incompétents concupiscents qu’il comporte, je le concède et surtout le confesse, ça marche. Ça massacre du manifestant, ça collecte de l’impôt, ça instruit et soigne a minima les gueux afin d’éviter les épidémies trop virulentes et la pertes massives connexes de chair productive, ça divise, ça communautarise, en gros ça bosse, mais ça bosse pour qui? Pour qui roule un Etat? Une monarchie, ça roule pour le roi, un empire pour l’empereur, une tyrannie pour le tyran, etc… Et une démocratie ça roule pour le peuple! Plus précisément les citoyens. Dans une démocratie le peuple est, à travers l’Etat qu’il nomme, souverain! Grosso merdo, c’est le principe! Donc, parce-que construit sur un modèle démocratique, l’Etat français et les institutions européennes devraient en toute logique rouler pour le peuple. Et c’est là, tu l’auras compris ma chère Myriam, qu’on a comme qui dirait mis le doigt sur la couille dans l’potage, et mon flair me dit : « Cesse de barboter, tu le tiens ton petit souci de souveraineté, ou plutôt d’exercice de la souveraineté. »

Car si toute démocratie a, par essence, tendance à glisser vers l’oligarchie  (pouvoir réservé à une classe dominante), c’est bien, de fait, aux règles d’une ploutocratie (pouvoir réservé aux plus riches) que notre Etat obéit. (Etat = France, Europe, Occident, je colle volontiers tout ça dans l’même sac! Appliquant les préceptes du principe juridique : Vu que ça m’arrange, on dirait que j’aurais raison.)

Une fois encore, ouf!… Contrairement à l’affirmation de mon acolyte de tergiversations sous psychotropes , l’Etat existe encore! C’est juste qu’il serait vraiment temps qu’il fasse son coming out. C’est un peu comme un trav’ obèse du bois de Boulogne qui aurait loupé sa dernière séance d’épilation. Même avec le rouge à lèvres, on la sent ambiguë, on se méfie, y a comme un truc chelou qui dépasse…

L’Etat existe plus que jamais! Et c’est une bonne vieille grosse ploutocratie qui pathétiquement tente encore de se déguiser en belle et plantureuse démocrate.

Alors tu vas me dire : «Tout ça pour ça… Bon et puisque que t’es capable de trouver tes réponses tout seul, comme un grand, pourquoi venir m’emmerder avec tes considérations politiques de comptoir!?»

 

Et bien ma chère Myriam, c’est justement pour élever un temps soit peu le débat à l’abreuvoir que je fais appel à ta luminescence! Parce-que la médiocrité m’emmerde et la mienne plus que toute autre, parce-que je ne me sens pas toujours à ma place dans ces sabots de bœuf, et parce-qu’à défaut de me rendre libre, si je pouvais au moins briller devant mes congénères bovidés, peut-être toucherais-je l’espoir d’une herbe plus verte, et de vaches plus douces.

 

L’gui

*Bien qu’il n’y ait dans ce bouillon fantastique qu’un soupçon de vérité. « Sasha G. » n’est pas (hélas) le vrais nom de mon amie, qui parce qu’elle n’aime pas les oies a préféré garder l’anonymat. (PS: Bisous Claire!) 

Références: Jean-Michel NAULOT, Crise financière, pourquoi les gouvernements ne font rien, Seuil

Pistes:  Etats off-shore des magnats de la silicone valley 

« Nul d’est censé ignorer la Loi »

De Myriam à Guillaume

 

Cher Guillaume,

Comme toujours, il faut commencer par le latin:

« Ubi societas, ibi jus. »

Voilà une maxime que j’aime beaucoup et qui est la base de la réflexion en théorie du droit: Où il y a société, il y a du droit.

Comme tout le monde le sait, l’intérêt majeur des études de droit réside dans l’apprentissage extensif de dictons en Latin, et ceci afin de pouvoir, enfin, faire le malin dans les dîners en ville, avec de naïfs non-juristes de préférence. Alors évidemment, il y en a d’autres plus connus (des dictons, pas des non-juristes…): « Dura lex, sed lex  » et bien sûr, en français: « Nul n’est censé ignorer la Loi »…

A mon sens, les trois marchent ensemble, de gauche à droite, dans une chronologie ou un mouvement de pensée qui va de la nécessité du droit dans le contrat social, en passant par l’acceptation résignée de la sanction légale, à la morale de l’histoire:  » Tu aurais du savoir ce qui allait t’arriver ». En gros: « Touche pas, tu vas être tout sale!! Et si tu te salis, ne viens pas te plaindre, je t’avais prévenu. La Loi, c’est Moi et tu ne peux pas m’ignorer! ».

Alors bon, tu me diras:

 » Myriam, t’es sympa avec tes trucs en latin et tes phrases toutes faites sur la connaissance que l’on se doit d’avoir de la Loi mais: 1) Arrête de faire ta maligne STP!  2) De toute manière, c’est bien joli mais moi, je fais comment puisque je n’ai pas fait de Droit? Hein? Et t’as vu la tronche d’un Code Civil ou de Justice Administrative? Ou même d’un manuel d’introduction au droit… C’est gros, très gros, écrit tout petit, avec des tournures de phrases bizarres qu’on dirait que c’est fait exprès pour qu’on comprenne rien! Non, sérieux, tu crois que ça donne envie d’aller voir dedans à quelle sauce on va être bouffés? Moi, à part la Déclaration des Droits de l’Homme (et encore, pas en entier, je ne savais pas qu’il y avait un article dedans sur le droit de propriété considéré comme sacré… bref.), j’y connais rien, alors que je suis très loin d’être un imbécile inculte! Et le pire, c’est qu’apparemment, on peut me la reprocher, cette ignorance de la Loi! De ne rien savoir des règles de succession des enfants naturels, de celles qui régissent la passation des marchés de travaux publics, du régime juridique de la responsabilité du fait d’autrui, ou même de ce que je risque en consommant de l’alcool sur la voie publique (bon, vu le week-end dernier, rien du tout mais je soupçonne que ce soit parce qu’on n’a pas croisé de poulets ou bien parce que ça se voit pas trop quand on est imbibés, classe et élégance en toute circonstance…). »

Et bien, tu aurais raison, de ne pas savoir, de ne pas avoir envie de savoir.

Mais alors, comment on fait pour ne pas l’ignorer cette Loi, qui règle nos rapports avec la société, les gens, l’Etat?

Ben on l’apprend. Où? Pour l’instant, dans les facs de Droit et d’Economie. Dans les Ecoles de commerce aussi. Un peu à Science-Po, beaucoup à l’ENA. Bref, dans les antichambres du pouvoir (enfin, c’est eux qui le disent…). Par contre dans une société idéale, on l’apprendrait à l’école de la République. De la maternelle au bac, et après aussi, que l’on étudie la littérature ou la physique quantique. Mais surtout, surtout, tant que l’école est obligatoire: jusqu’à 16 ans.

Parce que c’est dangereux de ne rien savoir de la loi. Parce qu’il y en a d’autres qui savent, eux. Et que, comme dans tous les autres domaines de la vie, ce n’est pas une bonne idée d’être le dernier à savoir: si tout le monde est au courant et pas toi, c’est que c’est toi le cocu… Connaître le droit, et donc ses droits, est une garantie, un partage un peu plus équitable du pouvoir.

Il y a deux bonnes raisons pour  se pencher sur la question: primo, parce qu’a priori, la peur de la sanction fait réfléchir le (futur) transgresseur de la Loi aux conséquences de ses actes et le fait éventuellement renoncer. Secundo, parce que la connaissance du droit est un rempart contre l’arbitraire et de là, une des seules garanties fiables que le Droit rencontre sa fin: la Justice.

En fait, c’est pour ça que nul n’est censé ignorer la loi. La prévention et la répression du trouble à l’ordre public, l’atteinte au fonctionnement de la société, sont les piliers de tous les droits du monde. Évidemment, les conceptions de ce que sont ces troubles et même de ce qu’est l’ordre public, diffèrent considérablement selon le pays, la région, l’époque, la situation géopolitique. Ce serait enfoncer des portes ouvertes que de rappeler qu’à part un corpus finalement très réduit d’interdictions strictes presque universelles (et encore, ça pourrait être discuté…), tout le droit n’est qu’une série d’adaptations plus ou moins idéologiques aux mouvements sociétaux, que ces adaptions se construisent en appui ou en réaction à des phénomènes nouveaux. En fait, tu ne dois jamais oublier que le droit, c’est politique (comme l’éthologie, mais c’est une autre question ;)). Et donc, loin d’être rationnel. Il n’est que le reflet des hommes qui l’écrivent, même s’il se veut objectif. Il est le ciment de la société telle que nous la concevons encore, idéologiquement égalitaire.

D’ailleurs, c’est pour ça qu’il y a une autre maxime (oui, je sais, je te vois faire ta tête de « Encore une… 🙁 » mais elle est vraiment cool celle-là, et en français): « nul ne peut  se prévaloir de sa propre turpitude ». Ce dicton a le mérite, en dehors de celui d’utiliser le mot « turpitude » qui est un des plus chouettes de la langue française, de rappeler que tout le monde doit être égal devant la loi, ainsi que le refus du jugement en équité (la tournure juridique de « à la gueule du client ») et donc de l’arbitraire du juge.

Bien sûr, tu me rétorqueras qu’il y a des circonstances atténuantes, que les peines peuvent être différentes d’un tribunal à l’autre… Je te répondrai que ce ne sont finalement que des raisonnements à la marge. Qu’elles répondent à un autre principe fondamental du droit occidental: la nécessaire individualisation des peines. Le droit ne peut pas se permettre d’être strictement automatique, sinon il est injuste. Et donc illégitime.

En clair: « C’est pas parce que tu as été violé et torturé par ton arrière-grand-mère pendant les 43 ans que tu as vécus chez elle que tu avais le droit d’assassiner son caniche nain primé à Vierzon en 1988 catégorie meilleure démarche, en le découpant à l’Opinel sans anesthésie! Tu prendras un an ferme, comme tout le monde. ».

Voilà, ça me paraît plus clair, non? C’est parce qu’on n’ignore pas la Loi que l’on sait que l’on transgresse l’ordre social. Dans une société où les notions de Bien et de Mal sont encore étonnamment à la mode, ça se tient.

Mais du Bien et du Mal, de l’acceptable et de l’inacceptable, on nous entretient dès l’âge tendre. On nous explique qu’il y a des règles à respecter pour que le groupe fonctionne sans trop de heurts (« Michel! On ne crève pas les yeux de ses petits camarades avec sa fourchette! »), des limites à ne pas franchir (« Non, tu n’as que 12 ans Brenda, je ne veux pas que tu partes à Ibiza pour le week-end »), que ma liberté s’arrête là où commence celle des autres (« Si si, on se lave les mains après être allé aux toilettes! »)… Au minimum. Donc, on a conscience très tôt que tel type de comportement entraîne une sanction proportionnée (en théorie) à la gravité de l’infraction à la règle.

Tu pourrais donc me dire que le job est fait et que personne n’ignore la Loi….

Oui mais non, en fait. Ou en tout cas, ce n’est pas ce que l’on entend par « Nul n’est censé blabla ». De fait, très peu de gens remettent en question le fait que tuer, c’est mal, voler aussi mais moins et, jusqu’à très récemment, qu’être gay, aussi. Par contre, il est à noter que la délinquance financière et/ou en col blanc, c’est beaucoup moins grave depuis le Code Naboléon du début des années 2000…

Et bien justement, c’est sur ce type de dispositions du droit positif ( pas au sens de « c’est cool » mais au sens de « en vigueur dans un pays donné, à un moment donné ») que le fait de ne rien en ignorer peut s’avérer très utile. Voire vital.

Parce que le droit change tout le temps en fait! Et pas toujours (c’est le moins que l’on puisse dire…) dans le sens du progrès. Il est mouvant, il s’adapte à ce que demande la majorité…

Et là il ne faut jamais oublier que c’est le Parlement qui fait la loi: des politiciens élus par le peuple souverain. Mais bon, ce n’est pas parce qu’il est souverain qu’il est éclairé (ça se saurait)! En fait, il peut être très con le peuple souverain, ou naïf comme le corps immense de non-juristes qu’il est (et ses représentants aussi d’ailleurs). Bien évidemment, nous sommes deux beaux échantillons du peuple souverain, ce qui nous expose à une forte probabilité d’écrire des bêtises sur le sujet…

Dont acte: il vaut mieux connaître l’état du droit. Parce qu’il ne fait pas que condamner, il protège, c’est même son objet premier. Il protège la société certes, mais aussi le citoyen, l’individu. De ses congénères mais aussi, et peut-être surtout, des abus potentiels de l’Etat et de la Puissance Publique. Connaître ses droits et ses devoirs, c’est donc aussi être en mesure de lutter, parce qu’on le perçoit, contre l’arbitraire

Et là, tu vas m’interrompre et t’exclamer, vu que tu es un peu parano-gaucho:

« Mais bien sûr!! C’est pour ça qu’ils ne nous l’enseignent pas à l’école! Comme ça, on ne peut pas se défendre. On ne sait même pas qu’il y a un abus quand il se produit! Et on continue d’engraisser des avocats qui n’ont fait leur droit que pour rouler en Z4 comme Monpapa, en se faisant du fric sur le dos des pauvres justiciables ignorants qui n’ont pas eu la chance de naître avec un Code Civil en argent dans la bouche! »

Alors, je serais obligée de te couper dans ta diatribe (je te voyais vraiment partir là, tu m’as fait peur…):

« Arrêêête! Pas tous… ( beaucoup peut-être, mais on ne va pas rentrer dans le débat sur la lutte des classes, la reproduction des élites et l' »homo homini lupus »!) »

En fait, je te répondrais probablement aussi quelque chose qui aurait trait aux budgets chétifs de l’Education Nationale… Parce qu’il en faudrait des budgets pour enseigner les rudiments du droit à une armée de millions de gosses! Il faudrait des profs. Il faudrait faire le tri dans ce qui serait utile à un moment T, niveau par niveau (complètement discrétionnaire donc: on enseignerait les mêmes domaines aux gamins des quartiers de Marseille et à ceux de Versailles?). Déjà, rien que de faire une sélection ce serait la croix et la bannière, exigerait des personnels compétents (!), du temps, de la réflexion, du tact, de la fermeté, une vision politique au sens noble, une volonté d’élever le corps social au-dessus de lui-même… Bref, une galère sans nom.

Tu as vu ce que ça donne quand des politiciens se mêlent d’éducation? Tu te souviens de ce débile et vil débat sur Tous à poil!? Consternant… Alors tu imagines le niveau si on s’attaque au droit/aux droits des gens? Quand tu penses qu’il y a des élus de la République qui refusent d’appliquer la loi et de marier des couples du même sexe, ou qui poussent des cris d’animaux à l’Assemblée Nationale à l’adresse de la Ministre de la Justice…

Je les entends d’ici:

« Alors quoi? On apprendrait aux délinquants à se défendre, que ce n’est pas parce qu’on enfreint la Loi qu’on n’a plus de droits? On va expliquer aux petits enfants innocents qu’ils peuvent se marier avec leur cousin(e) (Salut Christine Boucan!), et ce même s’ils sont du même sexe!? Que la prostitution n’est pas illicite? Qu’avant de demander d’avoir accès à un document administratif pour le produire devant un juge, il faut se référer à une obscure loi de 1971 qui te dit ce qu’EST un document administratif (Oui, moi aussi il y a 6 mois je pensais que c’était évident, et ben pas du tout…), envoyer ta requête à la CADA, ce qui constitue un RAPO? Que les parents sont responsables de leur gamin même si personne n’a commis de faute, idem pour les instits et leurs élèves? Que quand un prof traîne un élève par les cheveux en lui donnant petits coups de pieds pour le faire avancer, s’il l’emmène voir le directeur et bien, c’est dans le cadre de ses fonctions, et donc c’est l’Etat qui est responsable et pas lui!!? VOUS VOULEZ QU’ON LEUR APPRENNE CA A L’ECOLE?

 

VOUS VOULEZ LA REVOLUTION??? »

 

A quoi j’aurais très envie de répondre: oui.

Myriam

PRINCIPE JURIDIQUE ou Pourquoi la loi que nul n’est censé ignorer n’est-elle enseignée qu’à une élite?

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Ma chère Myriam,

Je souhaiterais te faire part d’une question qui me turlupine l’occiput depuis moult déjà.

Avant de solliciter tes lumières, qui risquent fort, je le crains, d’auréoler ma turpitude, je me suis un peu renseigné. (pas beaucoup mais un peu) Afin que les éventuels éléments de réflexion qui pourraient éclore dessous mes pariétaux puissent s’agripper à quelque chose, il m’a semblé nécessaire de définir l’adage à l’origine de ma surchauffe encéphalique, «Nul n’est censé ignorer la loi»

Adage qui loin d’être un fantasme populaire est apparemment constitutif de l’application du droit! (Nemo censetur ignorare legem = personne ne peut invoquer l’ignorance qu’il a de la loi pour échapper à son application)

Traduit dans l’article 1er alinéa 3 du code civil dans sa rédaction de 1804 (« La promulgation faite par le Premier Consul sera réputée connue dans le département »…) représente, selon Maître Gros, Avocat au barreau de Chambéry (oui, je l’ai un peu choisi pour son nom…) « (…) une fiction juridique majeure pour l’équilibre social, soit un principe dont on sait la réalisation impossible, mais nécessaire au fonctionnement de l’ordre juridique.»

Grosso merdo, on sait très bien que c’est pas vrai, mais comme ça nous arrange bien, on dirait que c’était vrai quand même. Et de plus, on va tout miser là-dessus pour établir les règles de notre société!

C’est un peu comme si on considérait soudain que tout les êtres humains étaient nyctalopes afin de réaliser des économies d’énergie. Ou encore, c’est comme si j’avais pas une tune, mais comme c’est nécessaire à mon bon fonctionnement, on disait que j’étais blindé.

Forcément, en basant la pensée juridique sur ce genre de principes, on comprend mieux l’impudence des états à proclamer des trucs du genre:

«Bon, on sait bien qu’il n’y a pas d’armes de destruction massive en Irak, mais vu qu’on a besoin de la guerre pour le bon fonctionnement de notre industrie, on dira qu’il y en avait quand même.»

ou alors,

«Ecologiquement, on sait tous qu’on va droit dans le mur, mais vu que c’est nécessaire au bon fonctionnement de notre sacre sainte économie, on dira qu’on allait pas tous crever.»

Bref, un principe juridique, ma chère Myriam, si j’ai bien pigé, c’est un truc que tout le monde sait irréel, mais que tout le monde considère comme acquis et sur lequel on fait tout reposer. En gros le droit comme il est conçu dans nos sociétés dominantes, ne serait ni plus ni moins qu’un gros tas de caillasses qui flotterait sur un océan d’eau douce, parce-que le principe d’Archimède c’est pour les tapettes…

Bon, tu me connais, je suis plutôt ouvert comme type, alors même si c’est un peu capilo-tracté, pourquoi pas, admettons.

Mais, vu le poids de l’entreprise, serait-ce vraiment trop demander que ces improbables fondations soient consolidées d’un soupçon de vraisemblance? C’est vrai quoi, même le père Noël avec ses lutins, son traîneau volant et son renne qui fait de la lumière avec son tarin est plus crédible que le principe foireux de «nul n’est censé ignorer la loi» (sur lequel est basé le droit positif!)

  1. Le père Noël, on ne demande qu’aux enfants d’y croire
  2. Tu risques pas d’aller en tôle parce-que t’as cramé la dinde.
  3. La majorité de mes contemporains en savent plus sur ce gros bonhomme rouge que sur les lois auxquelles ils sont soumis. (ce dernier point n’étant certes, qu’une appréciation toute personnelle…)

Donc ma chère Myriam, pour filer la métaphore, ne pourrions-nous pas, par exemple, diluer ne serait-ce qu’une pincée de sel dans l’océan d’eau douce qui est censé assurer la flottaison de notre édifice? Pour que, avec beaucoup d’imagination, dans un monde merveilleux avec des dragons, des fées, et toute la smala, cette histoire de cailloux qui flottent semble,… envisageable?

Parce-que ok, aucun homme ne pourra jamais avoir connaissance de l’ensemble des règles de droit, pourquoi ne pas essayer que la majorité des bonshommes qui forment notre si brillante civilisation, en détiennent au moins quelques clefs?

En tant qu’étudiante et déjà plus que tu ne le crois vendue à la cause, peut-être tu me répondras:

«C’est possible mon chère Guillaume, mais pour cela, il faudrait utiliser l’arme maléfique! Et ça, tous s’y opposeront. Pour réaliser ce rêve idyllique, d’un monde où les bestioles qui le peuplent sauraient à peu près à quelle sauce elles seront mangées, il n’y a d’autre choix que de dégainer la papesse des épées, mère de l’insoumission et des remises en question les plus profondes, l’arme de destruction massive de l’ordre établi. Car cette «pincée de sel» dont tu parles innocemment, s’appelle en réalité «l’éducation». Et je ne pense pas que tu puisses réaliser les enjeux et les conséquences de l’utilisation d’une telle arme. Son pouvoir est bien plus immense que tu ne peux le concevoir. Une magie si puissante, ne peut et ne doit pas, tomber dans les mains de la plèbe. (Déjà que l’érudition à la lecture et à l’écriture, a causé ces dernière décennies, bien du tracas en haut lieu. Par chance, avec la démocratisation de la technologie, ce problème semble en voie d’être maîtrisé) Pourquoi tout remettre en cause, alors que cela fonctionne si bien ainsi? De plus, si tu y réfléchis, sincèrement,  es-tu sûre de vouloir savoir à quelle sauce tu vas être mangée?»

Mais je fabule et ce n’est pas très cool de ma part de te prêter la facétie des notables, sous prétexte que tu aies appris leur langage. Ainsi je finirai sur cette cuisante interrogation:

« Pourquoi la loi que nul n’est censé ignorer n’est-elle enseignée qu’à une élite? »

*Bisous!*

l’gui

Mon unique référence car je suis fumiste et l’assume:

http://www.grosetgros-avocats.fr/spip.php?article19

Où lʼheure dʼété passe-t-elle lʼété?

l'heure d'ete

Ce dimanche comme chaque année à cette période, nous allons passer à
l’heure d’été. C’est-à-dire que nous allons perdre une heure. Pendant la nuit
de samedi à dimanche à 2h du matin, il sera déjà 3h!  Cette heure convoitée
de la nuit, celle qui  permet aux fêtards de sereinement reprendre un dernier
verre, aux étoiles vacillantes de se laisser tenter par une dernière danse, ou
encore aux Cendrillons d’un soir de se faire raccompagner à leur carrosse,
ces décisives 60 minutes pendant lesquelles les destins se dessinent
et Cupidon décoche à l’aveugle ses volées, ces précieuses 3.600 secondes, à
2h pile, auront comme chaque année, mystérieusement disparu! Jetant dans
le désarroi les citoyens venus comme aux dionysies célébrer le bourgeon
de la rose à 2€, le brame du Jäggermeister, la fonte des cubes de glace, en
un mot, le printemps!

Et cela ne choque personne ! Bien sûr certains s’en agacent, d’autres s’en
complaisent autour de la classique fracture nécessaire au bavardage, le
stérile débat des pour et des contre. Avec, pour n’en citer que quelques
uns, les geignards : « C’est énervant leurs magouilles là, moi avec les
enfants, je mets une semaine à m’en remettre » ; les bienheureux : « moi
j’aime bien l’heure d’été, les soirées sont plus longues » ; les confus : « Moi,
je ne sais jamais si on avance ou si on recule » ; les inutiles : « oui mais en
hiver y fait nuit tôt quand même » ; les complotistes :  «  paraît que ça
économise l’électricité, encore un coup des écolos ça! » Mais pas un seul de
ces tailleurs de bavettes, discutailleurs de trottoir, pas un de ces jacasseurs
de palier, ou idéologistes du sens commun, ne s’interroge! Personne n’est
choqué que chaque année, au printemps, une heure disparaisse ! J’entends
déjà les cartésiens d’comptoir, se moquer, et me dire : « Mais qu’il est con
celui-là alors ! Tu t’inquiètes pour rien ! En automne, elle va revenir ton
heure ! »
Et si cette année elle ne revenait pas !? Si cette année alors que le soleil, las
de faire au maillot des pochoirs sur notre peau se sera éloigné ; alors
qu’avec impatience, j’attendrai la première longue soirée d’hiver pour
inaugurer mon nouveau plaid tout d’alpaga crocheté, cette petite heure
(dont je suis apparemment le seul à me soucier) ne réapparaissait pas !?
Ce n’est pas que je ne lui fais pas confiance. Elle a été jusqu’à présent, et
depuis bientôt un siècle, très rigoureuse quant à la date de son retour et ce,
à la  seconde près ! Mais tout de même, 6 mois de villégiature, c’est long !
On ne sait pas ce qui lui arriver en 6 mois ! Surtout qu’on ne sait même
pas où elle va pendant ces 6 mois ! Car je ne veux pas être alarmiste, mais
si pour une quelconque raison, elle se trouvait retenue, on ne saurait même
pas où aller la chercher !
J’entends encore ces bien-pensants ankylosés au j’en foutre : « Qu’est ce
qu’on s’en fout, une heure de plus, une heure de moins! Y en a des heures
dans une année, c’est pas une pauvre petite heure qui va nous
emmerder! » Mais justement! Il se pourrait bien qu’avec son mi-temps,
cette petite heure fasse des jalouses parmi ses 8.759 copines! Imaginez ce
que ça donnerait si toutes se revendiquaient soudainement de l’idée de
Franklin, et décidaient de passer l’été où bon leur semble! Il ferait nuit
noire à midi, plein jour à minuit, et je peine à m’imaginer le merdier! Et
contrairement à ce que pensent les incultes, ce ne serait pas la première fois
que l’on aurait affaire à un mouvement syndical dans le secteur! Depuis les
année de Numa à Rome alors que Jésus-Christ n’était pas près de crier, ce
genre de foutoir en a déjà fait trembler des Empires et pas de la supérette!
Alors c’est pas pour vous foutre les foies, mais je me permets tout de
même de rappeler qu’aujourd’hui encore, en plus de nos 8.760 gentilles
petites heures, on en a 24 de syndiquées qui, sous prétexte de réunions du
personnel, ne bossent qu’une fois tous les 4 ans! Et coïncidence opportune,
devinez quand elles reviennent bosser nos 24 rouges… En 2016! Pile le
centenaire de l’année où on a accordé à notre heure d’été ses 6 mois de
congé annuels… De quoi se laisser pousser les idées vous en conviendrez!
J’ose espérer que vous considérez maintenant de manière moins anodine la
disparition estivale de nos rebelles petites 60 minutes. Et c’est pourquoi il
me semble urgent, dans un premier temps, de répondre à cette légitime et
viscérale question: « Où l’heure d’été passe-t-elle l’été? »