L’ETAT N’EXISTE PLUS !

Ma Chère Myriam,

Loin de moi l’intention de t’accabler de mes questionnement juvéniles, complotistes, absurdes, paradoxaux ou tout simplement idiots. Il n’empêche qu’une fois encore, il y a cette question qu’il me plairait de soumettre à ta synaptique mécanique.

Bien que la douceur de la vie me grise et que ma misanthropie galope, il m’arrive parfois de brièvement toucher la satisfaction. Ce sentiment d’être à sa place exactement. Ce soir-là dans mon fauteuil club, buvant, fumant, le combiné de mon Socotel à l’épaule, ce soir-là, je frôlais le contentement. Je discutaillais avec Sasha G.* de bouffe,  de cul, d’institutions européennes et de régulation de marchés. Notre échange des plus délectables devint quasi jouissif, lorsque naquit de sa bouche cette langoureuse affirmation : « Mais Guillaume, l’Etat n’existe plus! »

Cocasse pour une aspirante à Science Po Paris, tu en conviendras, mais il me tarde d’autant plus de connaître l’analyse de l’aficionada du droit constitutionnel que tu es, garant de l’existence dudit Etat. Ainsi je me permettrais de reformuler ce lyrisme sans concession sous la forme interrogative, plus propice peut-être à la discussion :

«L’état existe-t-il encore?»

Au vu de ce vaste chantier, de ce pavé dans la mare, que dis-je dans la mer! Tu imagines aisément le branle bas de combat dedans ma caboche lorsque ces mots vinrent me claquer le tympan!

L’Etat, qu’est-ce que c’est? De quel Etat parle-t-on? De la France, de l’Europe? Une autorité législative issue d’une constitution démocratique?

Exister… Comment existe-t-il? Où existe-t-il? Quelles sont les preuves de son existence? Comment ça il n’existerait plus? Peut-il être sans pour autant exister? Ca chauffe, ça chauffe, je me calme.

Pourtant, cet Etat est bien réel, lorsqu’il impose la Rigueur à ses citoyens. Lorsque par son action de législateur, des millions de familles se retrouvent dépouillées, envasées dans la pauvreté, il existe là l’Etat! Peut-être s’agirait-il du lieu, du champ d’action? L’Etat existerait pour ces citoyens lambda, pour la plèbe, mais pour les grands de ce monde, son existence serait moins évidente? Ce qui me renvoit à Jean-Michel Naulot* qui lui aussi, comme Claire, affirme que l’Etat, les politiques ont laissé le terrain libre aux acteurs des marchés. Qu’ils leur ont délégué le pouvoir sans aucune contrepartie. (Je n’ai pas la citation exacte, mais m’engage à la retrouver dès que Claire m’aura rendu mon foutu bouquin!) Et c’est là, que même si je ne veux pas jouer au plus finaud avec Naulot,  quand la BCE (Banque Centrale Européenne) en baissant au minimum les taux directeurs, donne de l’argent gratuit aux spéculateurs, en gros refile du savon aux faiseurs de bulles, ceux-là mêmes qui prescrivent la rigueur comme remède à tout: il existe bien là aussi l’Etat, le politique, même dans ce no law’s land que sont les marchés financiers.

Donc premier constat rassurant: ouf! l’Etat existe toujours… Certes il semble pour le moins partial et très peu représentatif de ce que j’appellerais une volonté démocratique mais puisqu’il vole les uns pour redistribuer aux autres, sorte de Robin des Bois bipolaire, il est et existe!

Ainsi ma chère Myriam, même si je ne suis qu’un gueux, il semblerait que notre amie Sasha à force de gavage intellectuel, s’en est faite confire l’encéphale à la façon d’une oie. Car de toute évidence, en tricotant vite fait le fil de son idée, séduisante au demeurant pour un anar’ de mon espèce, on se rend vite compte que notre canette provinciale fraîchement montée à la grosse ville a beau se donner des airs d’érudite, elle est complètement à côté de sa mare.

A moins que, dans ma précipitation d’andouille, ce ne soit moi qui soit en train de barboter la poussière. Peut-être que par «L’Etat n’existe plus» notre clairvoyante anatidé, loin d’annoncer la mort de l’Etat en tant qu’institution des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif, me désignait sa déchéance, l’abandon de sa souveraineté, sa capitulation sans condition.

En effet l’Etat, d’un point de vue purement administratif, et ce malgré les hordes condescendantes d’incompétents concupiscents qu’il comporte, je le concède et surtout le confesse, ça marche. Ça massacre du manifestant, ça collecte de l’impôt, ça instruit et soigne a minima les gueux afin d’éviter les épidémies trop virulentes et la pertes massives connexes de chair productive, ça divise, ça communautarise, en gros ça bosse, mais ça bosse pour qui? Pour qui roule un Etat? Une monarchie, ça roule pour le roi, un empire pour l’empereur, une tyrannie pour le tyran, etc… Et une démocratie ça roule pour le peuple! Plus précisément les citoyens. Dans une démocratie le peuple est, à travers l’Etat qu’il nomme, souverain! Grosso merdo, c’est le principe! Donc, parce-que construit sur un modèle démocratique, l’Etat français et les institutions européennes devraient en toute logique rouler pour le peuple. Et c’est là, tu l’auras compris ma chère Myriam, qu’on a comme qui dirait mis le doigt sur la couille dans l’potage, et mon flair me dit : « Cesse de barboter, tu le tiens ton petit souci de souveraineté, ou plutôt d’exercice de la souveraineté. »

Car si toute démocratie a, par essence, tendance à glisser vers l’oligarchie  (pouvoir réservé à une classe dominante), c’est bien, de fait, aux règles d’une ploutocratie (pouvoir réservé aux plus riches) que notre Etat obéit. (Etat = France, Europe, Occident, je colle volontiers tout ça dans l’même sac! Appliquant les préceptes du principe juridique : Vu que ça m’arrange, on dirait que j’aurais raison.)

Une fois encore, ouf!… Contrairement à l’affirmation de mon acolyte de tergiversations sous psychotropes , l’Etat existe encore! C’est juste qu’il serait vraiment temps qu’il fasse son coming out. C’est un peu comme un trav’ obèse du bois de Boulogne qui aurait loupé sa dernière séance d’épilation. Même avec le rouge à lèvres, on la sent ambiguë, on se méfie, y a comme un truc chelou qui dépasse…

L’Etat existe plus que jamais! Et c’est une bonne vieille grosse ploutocratie qui pathétiquement tente encore de se déguiser en belle et plantureuse démocrate.

Alors tu vas me dire : «Tout ça pour ça… Bon et puisque que t’es capable de trouver tes réponses tout seul, comme un grand, pourquoi venir m’emmerder avec tes considérations politiques de comptoir!?»

 

Et bien ma chère Myriam, c’est justement pour élever un temps soit peu le débat à l’abreuvoir que je fais appel à ta luminescence! Parce-que la médiocrité m’emmerde et la mienne plus que toute autre, parce-que je ne me sens pas toujours à ma place dans ces sabots de bœuf, et parce-qu’à défaut de me rendre libre, si je pouvais au moins briller devant mes congénères bovidés, peut-être toucherais-je l’espoir d’une herbe plus verte, et de vaches plus douces.

 

L’gui

*Bien qu’il n’y ait dans ce bouillon fantastique qu’un soupçon de vérité. « Sasha G. » n’est pas (hélas) le vrais nom de mon amie, qui parce qu’elle n’aime pas les oies a préféré garder l’anonymat. (PS: Bisous Claire!) 

Références: Jean-Michel NAULOT, Crise financière, pourquoi les gouvernements ne font rien, Seuil

Pistes:  Etats off-shore des magnats de la silicone valley 

« Nul d’est censé ignorer la Loi »

De Myriam à Guillaume

 

Cher Guillaume,

Comme toujours, il faut commencer par le latin:

« Ubi societas, ibi jus. »

Voilà une maxime que j’aime beaucoup et qui est la base de la réflexion en théorie du droit: Où il y a société, il y a du droit.

Comme tout le monde le sait, l’intérêt majeur des études de droit réside dans l’apprentissage extensif de dictons en Latin, et ceci afin de pouvoir, enfin, faire le malin dans les dîners en ville, avec de naïfs non-juristes de préférence. Alors évidemment, il y en a d’autres plus connus (des dictons, pas des non-juristes…): « Dura lex, sed lex  » et bien sûr, en français: « Nul n’est censé ignorer la Loi »…

A mon sens, les trois marchent ensemble, de gauche à droite, dans une chronologie ou un mouvement de pensée qui va de la nécessité du droit dans le contrat social, en passant par l’acceptation résignée de la sanction légale, à la morale de l’histoire:  » Tu aurais du savoir ce qui allait t’arriver ». En gros: « Touche pas, tu vas être tout sale!! Et si tu te salis, ne viens pas te plaindre, je t’avais prévenu. La Loi, c’est Moi et tu ne peux pas m’ignorer! ».

Alors bon, tu me diras:

 » Myriam, t’es sympa avec tes trucs en latin et tes phrases toutes faites sur la connaissance que l’on se doit d’avoir de la Loi mais: 1) Arrête de faire ta maligne STP!  2) De toute manière, c’est bien joli mais moi, je fais comment puisque je n’ai pas fait de Droit? Hein? Et t’as vu la tronche d’un Code Civil ou de Justice Administrative? Ou même d’un manuel d’introduction au droit… C’est gros, très gros, écrit tout petit, avec des tournures de phrases bizarres qu’on dirait que c’est fait exprès pour qu’on comprenne rien! Non, sérieux, tu crois que ça donne envie d’aller voir dedans à quelle sauce on va être bouffés? Moi, à part la Déclaration des Droits de l’Homme (et encore, pas en entier, je ne savais pas qu’il y avait un article dedans sur le droit de propriété considéré comme sacré… bref.), j’y connais rien, alors que je suis très loin d’être un imbécile inculte! Et le pire, c’est qu’apparemment, on peut me la reprocher, cette ignorance de la Loi! De ne rien savoir des règles de succession des enfants naturels, de celles qui régissent la passation des marchés de travaux publics, du régime juridique de la responsabilité du fait d’autrui, ou même de ce que je risque en consommant de l’alcool sur la voie publique (bon, vu le week-end dernier, rien du tout mais je soupçonne que ce soit parce qu’on n’a pas croisé de poulets ou bien parce que ça se voit pas trop quand on est imbibés, classe et élégance en toute circonstance…). »

Et bien, tu aurais raison, de ne pas savoir, de ne pas avoir envie de savoir.

Mais alors, comment on fait pour ne pas l’ignorer cette Loi, qui règle nos rapports avec la société, les gens, l’Etat?

Ben on l’apprend. Où? Pour l’instant, dans les facs de Droit et d’Economie. Dans les Ecoles de commerce aussi. Un peu à Science-Po, beaucoup à l’ENA. Bref, dans les antichambres du pouvoir (enfin, c’est eux qui le disent…). Par contre dans une société idéale, on l’apprendrait à l’école de la République. De la maternelle au bac, et après aussi, que l’on étudie la littérature ou la physique quantique. Mais surtout, surtout, tant que l’école est obligatoire: jusqu’à 16 ans.

Parce que c’est dangereux de ne rien savoir de la loi. Parce qu’il y en a d’autres qui savent, eux. Et que, comme dans tous les autres domaines de la vie, ce n’est pas une bonne idée d’être le dernier à savoir: si tout le monde est au courant et pas toi, c’est que c’est toi le cocu… Connaître le droit, et donc ses droits, est une garantie, un partage un peu plus équitable du pouvoir.

Il y a deux bonnes raisons pour  se pencher sur la question: primo, parce qu’a priori, la peur de la sanction fait réfléchir le (futur) transgresseur de la Loi aux conséquences de ses actes et le fait éventuellement renoncer. Secundo, parce que la connaissance du droit est un rempart contre l’arbitraire et de là, une des seules garanties fiables que le Droit rencontre sa fin: la Justice.

En fait, c’est pour ça que nul n’est censé ignorer la loi. La prévention et la répression du trouble à l’ordre public, l’atteinte au fonctionnement de la société, sont les piliers de tous les droits du monde. Évidemment, les conceptions de ce que sont ces troubles et même de ce qu’est l’ordre public, diffèrent considérablement selon le pays, la région, l’époque, la situation géopolitique. Ce serait enfoncer des portes ouvertes que de rappeler qu’à part un corpus finalement très réduit d’interdictions strictes presque universelles (et encore, ça pourrait être discuté…), tout le droit n’est qu’une série d’adaptations plus ou moins idéologiques aux mouvements sociétaux, que ces adaptions se construisent en appui ou en réaction à des phénomènes nouveaux. En fait, tu ne dois jamais oublier que le droit, c’est politique (comme l’éthologie, mais c’est une autre question ;)). Et donc, loin d’être rationnel. Il n’est que le reflet des hommes qui l’écrivent, même s’il se veut objectif. Il est le ciment de la société telle que nous la concevons encore, idéologiquement égalitaire.

D’ailleurs, c’est pour ça qu’il y a une autre maxime (oui, je sais, je te vois faire ta tête de « Encore une… 🙁 » mais elle est vraiment cool celle-là, et en français): « nul ne peut  se prévaloir de sa propre turpitude ». Ce dicton a le mérite, en dehors de celui d’utiliser le mot « turpitude » qui est un des plus chouettes de la langue française, de rappeler que tout le monde doit être égal devant la loi, ainsi que le refus du jugement en équité (la tournure juridique de « à la gueule du client ») et donc de l’arbitraire du juge.

Bien sûr, tu me rétorqueras qu’il y a des circonstances atténuantes, que les peines peuvent être différentes d’un tribunal à l’autre… Je te répondrai que ce ne sont finalement que des raisonnements à la marge. Qu’elles répondent à un autre principe fondamental du droit occidental: la nécessaire individualisation des peines. Le droit ne peut pas se permettre d’être strictement automatique, sinon il est injuste. Et donc illégitime.

En clair: « C’est pas parce que tu as été violé et torturé par ton arrière-grand-mère pendant les 43 ans que tu as vécus chez elle que tu avais le droit d’assassiner son caniche nain primé à Vierzon en 1988 catégorie meilleure démarche, en le découpant à l’Opinel sans anesthésie! Tu prendras un an ferme, comme tout le monde. ».

Voilà, ça me paraît plus clair, non? C’est parce qu’on n’ignore pas la Loi que l’on sait que l’on transgresse l’ordre social. Dans une société où les notions de Bien et de Mal sont encore étonnamment à la mode, ça se tient.

Mais du Bien et du Mal, de l’acceptable et de l’inacceptable, on nous entretient dès l’âge tendre. On nous explique qu’il y a des règles à respecter pour que le groupe fonctionne sans trop de heurts (« Michel! On ne crève pas les yeux de ses petits camarades avec sa fourchette! »), des limites à ne pas franchir (« Non, tu n’as que 12 ans Brenda, je ne veux pas que tu partes à Ibiza pour le week-end »), que ma liberté s’arrête là où commence celle des autres (« Si si, on se lave les mains après être allé aux toilettes! »)… Au minimum. Donc, on a conscience très tôt que tel type de comportement entraîne une sanction proportionnée (en théorie) à la gravité de l’infraction à la règle.

Tu pourrais donc me dire que le job est fait et que personne n’ignore la Loi….

Oui mais non, en fait. Ou en tout cas, ce n’est pas ce que l’on entend par « Nul n’est censé blabla ». De fait, très peu de gens remettent en question le fait que tuer, c’est mal, voler aussi mais moins et, jusqu’à très récemment, qu’être gay, aussi. Par contre, il est à noter que la délinquance financière et/ou en col blanc, c’est beaucoup moins grave depuis le Code Naboléon du début des années 2000…

Et bien justement, c’est sur ce type de dispositions du droit positif ( pas au sens de « c’est cool » mais au sens de « en vigueur dans un pays donné, à un moment donné ») que le fait de ne rien en ignorer peut s’avérer très utile. Voire vital.

Parce que le droit change tout le temps en fait! Et pas toujours (c’est le moins que l’on puisse dire…) dans le sens du progrès. Il est mouvant, il s’adapte à ce que demande la majorité…

Et là il ne faut jamais oublier que c’est le Parlement qui fait la loi: des politiciens élus par le peuple souverain. Mais bon, ce n’est pas parce qu’il est souverain qu’il est éclairé (ça se saurait)! En fait, il peut être très con le peuple souverain, ou naïf comme le corps immense de non-juristes qu’il est (et ses représentants aussi d’ailleurs). Bien évidemment, nous sommes deux beaux échantillons du peuple souverain, ce qui nous expose à une forte probabilité d’écrire des bêtises sur le sujet…

Dont acte: il vaut mieux connaître l’état du droit. Parce qu’il ne fait pas que condamner, il protège, c’est même son objet premier. Il protège la société certes, mais aussi le citoyen, l’individu. De ses congénères mais aussi, et peut-être surtout, des abus potentiels de l’Etat et de la Puissance Publique. Connaître ses droits et ses devoirs, c’est donc aussi être en mesure de lutter, parce qu’on le perçoit, contre l’arbitraire

Et là, tu vas m’interrompre et t’exclamer, vu que tu es un peu parano-gaucho:

« Mais bien sûr!! C’est pour ça qu’ils ne nous l’enseignent pas à l’école! Comme ça, on ne peut pas se défendre. On ne sait même pas qu’il y a un abus quand il se produit! Et on continue d’engraisser des avocats qui n’ont fait leur droit que pour rouler en Z4 comme Monpapa, en se faisant du fric sur le dos des pauvres justiciables ignorants qui n’ont pas eu la chance de naître avec un Code Civil en argent dans la bouche! »

Alors, je serais obligée de te couper dans ta diatribe (je te voyais vraiment partir là, tu m’as fait peur…):

« Arrêêête! Pas tous… ( beaucoup peut-être, mais on ne va pas rentrer dans le débat sur la lutte des classes, la reproduction des élites et l' »homo homini lupus »!) »

En fait, je te répondrais probablement aussi quelque chose qui aurait trait aux budgets chétifs de l’Education Nationale… Parce qu’il en faudrait des budgets pour enseigner les rudiments du droit à une armée de millions de gosses! Il faudrait des profs. Il faudrait faire le tri dans ce qui serait utile à un moment T, niveau par niveau (complètement discrétionnaire donc: on enseignerait les mêmes domaines aux gamins des quartiers de Marseille et à ceux de Versailles?). Déjà, rien que de faire une sélection ce serait la croix et la bannière, exigerait des personnels compétents (!), du temps, de la réflexion, du tact, de la fermeté, une vision politique au sens noble, une volonté d’élever le corps social au-dessus de lui-même… Bref, une galère sans nom.

Tu as vu ce que ça donne quand des politiciens se mêlent d’éducation? Tu te souviens de ce débile et vil débat sur Tous à poil!? Consternant… Alors tu imagines le niveau si on s’attaque au droit/aux droits des gens? Quand tu penses qu’il y a des élus de la République qui refusent d’appliquer la loi et de marier des couples du même sexe, ou qui poussent des cris d’animaux à l’Assemblée Nationale à l’adresse de la Ministre de la Justice…

Je les entends d’ici:

« Alors quoi? On apprendrait aux délinquants à se défendre, que ce n’est pas parce qu’on enfreint la Loi qu’on n’a plus de droits? On va expliquer aux petits enfants innocents qu’ils peuvent se marier avec leur cousin(e) (Salut Christine Boucan!), et ce même s’ils sont du même sexe!? Que la prostitution n’est pas illicite? Qu’avant de demander d’avoir accès à un document administratif pour le produire devant un juge, il faut se référer à une obscure loi de 1971 qui te dit ce qu’EST un document administratif (Oui, moi aussi il y a 6 mois je pensais que c’était évident, et ben pas du tout…), envoyer ta requête à la CADA, ce qui constitue un RAPO? Que les parents sont responsables de leur gamin même si personne n’a commis de faute, idem pour les instits et leurs élèves? Que quand un prof traîne un élève par les cheveux en lui donnant petits coups de pieds pour le faire avancer, s’il l’emmène voir le directeur et bien, c’est dans le cadre de ses fonctions, et donc c’est l’Etat qui est responsable et pas lui!!? VOUS VOULEZ QU’ON LEUR APPRENNE CA A L’ECOLE?

 

VOUS VOULEZ LA REVOLUTION??? »

 

A quoi j’aurais très envie de répondre: oui.

Myriam

PRINCIPE JURIDIQUE ou Pourquoi la loi que nul n’est censé ignorer n’est-elle enseignée qu’à une élite?

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Ma chère Myriam,

Je souhaiterais te faire part d’une question qui me turlupine l’occiput depuis moult déjà.

Avant de solliciter tes lumières, qui risquent fort, je le crains, d’auréoler ma turpitude, je me suis un peu renseigné. (pas beaucoup mais un peu) Afin que les éventuels éléments de réflexion qui pourraient éclore dessous mes pariétaux puissent s’agripper à quelque chose, il m’a semblé nécessaire de définir l’adage à l’origine de ma surchauffe encéphalique, «Nul n’est censé ignorer la loi»

Adage qui loin d’être un fantasme populaire est apparemment constitutif de l’application du droit! (Nemo censetur ignorare legem = personne ne peut invoquer l’ignorance qu’il a de la loi pour échapper à son application)

Traduit dans l’article 1er alinéa 3 du code civil dans sa rédaction de 1804 (« La promulgation faite par le Premier Consul sera réputée connue dans le département »…) représente, selon Maître Gros, Avocat au barreau de Chambéry (oui, je l’ai un peu choisi pour son nom…) « (…) une fiction juridique majeure pour l’équilibre social, soit un principe dont on sait la réalisation impossible, mais nécessaire au fonctionnement de l’ordre juridique.»

Grosso merdo, on sait très bien que c’est pas vrai, mais comme ça nous arrange bien, on dirait que c’était vrai quand même. Et de plus, on va tout miser là-dessus pour établir les règles de notre société!

C’est un peu comme si on considérait soudain que tout les êtres humains étaient nyctalopes afin de réaliser des économies d’énergie. Ou encore, c’est comme si j’avais pas une tune, mais comme c’est nécessaire à mon bon fonctionnement, on disait que j’étais blindé.

Forcément, en basant la pensée juridique sur ce genre de principes, on comprend mieux l’impudence des états à proclamer des trucs du genre:

«Bon, on sait bien qu’il n’y a pas d’armes de destruction massive en Irak, mais vu qu’on a besoin de la guerre pour le bon fonctionnement de notre industrie, on dira qu’il y en avait quand même.»

ou alors,

«Ecologiquement, on sait tous qu’on va droit dans le mur, mais vu que c’est nécessaire au bon fonctionnement de notre sacre sainte économie, on dira qu’on allait pas tous crever.»

Bref, un principe juridique, ma chère Myriam, si j’ai bien pigé, c’est un truc que tout le monde sait irréel, mais que tout le monde considère comme acquis et sur lequel on fait tout reposer. En gros le droit comme il est conçu dans nos sociétés dominantes, ne serait ni plus ni moins qu’un gros tas de caillasses qui flotterait sur un océan d’eau douce, parce-que le principe d’Archimède c’est pour les tapettes…

Bon, tu me connais, je suis plutôt ouvert comme type, alors même si c’est un peu capilo-tracté, pourquoi pas, admettons.

Mais, vu le poids de l’entreprise, serait-ce vraiment trop demander que ces improbables fondations soient consolidées d’un soupçon de vraisemblance? C’est vrai quoi, même le père Noël avec ses lutins, son traîneau volant et son renne qui fait de la lumière avec son tarin est plus crédible que le principe foireux de «nul n’est censé ignorer la loi» (sur lequel est basé le droit positif!)

  1. Le père Noël, on ne demande qu’aux enfants d’y croire
  2. Tu risques pas d’aller en tôle parce-que t’as cramé la dinde.
  3. La majorité de mes contemporains en savent plus sur ce gros bonhomme rouge que sur les lois auxquelles ils sont soumis. (ce dernier point n’étant certes, qu’une appréciation toute personnelle…)

Donc ma chère Myriam, pour filer la métaphore, ne pourrions-nous pas, par exemple, diluer ne serait-ce qu’une pincée de sel dans l’océan d’eau douce qui est censé assurer la flottaison de notre édifice? Pour que, avec beaucoup d’imagination, dans un monde merveilleux avec des dragons, des fées, et toute la smala, cette histoire de cailloux qui flottent semble,… envisageable?

Parce-que ok, aucun homme ne pourra jamais avoir connaissance de l’ensemble des règles de droit, pourquoi ne pas essayer que la majorité des bonshommes qui forment notre si brillante civilisation, en détiennent au moins quelques clefs?

En tant qu’étudiante et déjà plus que tu ne le crois vendue à la cause, peut-être tu me répondras:

«C’est possible mon chère Guillaume, mais pour cela, il faudrait utiliser l’arme maléfique! Et ça, tous s’y opposeront. Pour réaliser ce rêve idyllique, d’un monde où les bestioles qui le peuplent sauraient à peu près à quelle sauce elles seront mangées, il n’y a d’autre choix que de dégainer la papesse des épées, mère de l’insoumission et des remises en question les plus profondes, l’arme de destruction massive de l’ordre établi. Car cette «pincée de sel» dont tu parles innocemment, s’appelle en réalité «l’éducation». Et je ne pense pas que tu puisses réaliser les enjeux et les conséquences de l’utilisation d’une telle arme. Son pouvoir est bien plus immense que tu ne peux le concevoir. Une magie si puissante, ne peut et ne doit pas, tomber dans les mains de la plèbe. (Déjà que l’érudition à la lecture et à l’écriture, a causé ces dernière décennies, bien du tracas en haut lieu. Par chance, avec la démocratisation de la technologie, ce problème semble en voie d’être maîtrisé) Pourquoi tout remettre en cause, alors que cela fonctionne si bien ainsi? De plus, si tu y réfléchis, sincèrement,  es-tu sûre de vouloir savoir à quelle sauce tu vas être mangée?»

Mais je fabule et ce n’est pas très cool de ma part de te prêter la facétie des notables, sous prétexte que tu aies appris leur langage. Ainsi je finirai sur cette cuisante interrogation:

« Pourquoi la loi que nul n’est censé ignorer n’est-elle enseignée qu’à une élite? »

*Bisous!*

l’gui

Mon unique référence car je suis fumiste et l’assume:

http://www.grosetgros-avocats.fr/spip.php?article19