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L’ETAT N’EXISTE PLUS !
Ma Chère Myriam,
Loin de moi l’intention de t’accabler de mes questionnement juvéniles, complotistes, absurdes, paradoxaux ou tout simplement idiots. Il n’empêche qu’une fois encore, il y a cette question qu’il me plairait de soumettre à ta synaptique mécanique.
Bien que la douceur de la vie me grise et que ma misanthropie galope, il m’arrive parfois de brièvement toucher la satisfaction. Ce sentiment d’être à sa place exactement. Ce soir-là dans mon fauteuil club, buvant, fumant, le combiné de mon Socotel à l’épaule, ce soir-là, je frôlais le contentement. Je discutaillais avec Sasha G.* de bouffe, de cul, d’institutions européennes et de régulation de marchés. Notre échange des plus délectables devint quasi jouissif, lorsque naquit de sa bouche cette langoureuse affirmation : « Mais Guillaume, l’Etat n’existe plus! »
Cocasse pour une aspirante à Science Po Paris, tu en conviendras, mais il me tarde d’autant plus de connaître l’analyse de l’aficionada du droit constitutionnel que tu es, garant de l’existence dudit Etat. Ainsi je me permettrais de reformuler ce lyrisme sans concession sous la forme interrogative, plus propice peut-être à la discussion :
«L’état existe-t-il encore?»
Au vu de ce vaste chantier, de ce pavé dans la mare, que dis-je dans la mer! Tu imagines aisément le branle bas de combat dedans ma caboche lorsque ces mots vinrent me claquer le tympan!
L’Etat, qu’est-ce que c’est? De quel Etat parle-t-on? De la France, de l’Europe? Une autorité législative issue d’une constitution démocratique?
Exister… Comment existe-t-il? Où existe-t-il? Quelles sont les preuves de son existence? Comment ça il n’existerait plus? Peut-il être sans pour autant exister? Ca chauffe, ça chauffe, je me calme.
Pourtant, cet Etat est bien réel, lorsqu’il impose la Rigueur à ses citoyens. Lorsque par son action de législateur, des millions de familles se retrouvent dépouillées, envasées dans la pauvreté, il existe là l’Etat! Peut-être s’agirait-il du lieu, du champ d’action? L’Etat existerait pour ces citoyens lambda, pour la plèbe, mais pour les grands de ce monde, son existence serait moins évidente? Ce qui me renvoit à Jean-Michel Naulot* qui lui aussi, comme Claire, affirme que l’Etat, les politiques ont laissé le terrain libre aux acteurs des marchés. Qu’ils leur ont délégué le pouvoir sans aucune contrepartie. (Je n’ai pas la citation exacte, mais m’engage à la retrouver dès que Claire m’aura rendu mon foutu bouquin!) Et c’est là, que même si je ne veux pas jouer au plus finaud avec Naulot, quand la BCE (Banque Centrale Européenne) en baissant au minimum les taux directeurs, donne de l’argent gratuit aux spéculateurs, en gros refile du savon aux faiseurs de bulles, ceux-là mêmes qui prescrivent la rigueur comme remède à tout: il existe bien là aussi l’Etat, le politique, même dans ce no law’s land que sont les marchés financiers.
Donc premier constat rassurant: ouf! l’Etat existe toujours… Certes il semble pour le moins partial et très peu représentatif de ce que j’appellerais une volonté démocratique mais puisqu’il vole les uns pour redistribuer aux autres, sorte de Robin des Bois bipolaire, il est et existe!
Ainsi ma chère Myriam, même si je ne suis qu’un gueux, il semblerait que notre amie Sasha à force de gavage intellectuel, s’en est faite confire l’encéphale à la façon d’une oie. Car de toute évidence, en tricotant vite fait le fil de son idée, séduisante au demeurant pour un anar’ de mon espèce, on se rend vite compte que notre canette provinciale fraîchement montée à la grosse ville a beau se donner des airs d’érudite, elle est complètement à côté de sa mare.
A moins que, dans ma précipitation d’andouille, ce ne soit moi qui soit en train de barboter la poussière. Peut-être que par «L’Etat n’existe plus» notre clairvoyante anatidé, loin d’annoncer la mort de l’Etat en tant qu’institution des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif, me désignait sa déchéance, l’abandon de sa souveraineté, sa capitulation sans condition.
En effet l’Etat, d’un point de vue purement administratif, et ce malgré les hordes condescendantes d’incompétents concupiscents qu’il comporte, je le concède et surtout le confesse, ça marche. Ça massacre du manifestant, ça collecte de l’impôt, ça instruit et soigne a minima les gueux afin d’éviter les épidémies trop virulentes et la pertes massives connexes de chair productive, ça divise, ça communautarise, en gros ça bosse, mais ça bosse pour qui? Pour qui roule un Etat? Une monarchie, ça roule pour le roi, un empire pour l’empereur, une tyrannie pour le tyran, etc… Et une démocratie ça roule pour le peuple! Plus précisément les citoyens. Dans une démocratie le peuple est, à travers l’Etat qu’il nomme, souverain! Grosso merdo, c’est le principe! Donc, parce-que construit sur un modèle démocratique, l’Etat français et les institutions européennes devraient en toute logique rouler pour le peuple. Et c’est là, tu l’auras compris ma chère Myriam, qu’on a comme qui dirait mis le doigt sur la couille dans l’potage, et mon flair me dit : « Cesse de barboter, tu le tiens ton petit souci de souveraineté, ou plutôt d’exercice de la souveraineté. »
Car si toute démocratie a, par essence, tendance à glisser vers l’oligarchie (pouvoir réservé à une classe dominante), c’est bien, de fait, aux règles d’une ploutocratie (pouvoir réservé aux plus riches) que notre Etat obéit. (Etat = France, Europe, Occident, je colle volontiers tout ça dans l’même sac! Appliquant les préceptes du principe juridique : Vu que ça m’arrange, on dirait que j’aurais raison.)
Une fois encore, ouf!… Contrairement à l’affirmation de mon acolyte de tergiversations sous psychotropes , l’Etat existe encore! C’est juste qu’il serait vraiment temps qu’il fasse son coming out. C’est un peu comme un trav’ obèse du bois de Boulogne qui aurait loupé sa dernière séance d’épilation. Même avec le rouge à lèvres, on la sent ambiguë, on se méfie, y a comme un truc chelou qui dépasse…
L’Etat existe plus que jamais! Et c’est une bonne vieille grosse ploutocratie qui pathétiquement tente encore de se déguiser en belle et plantureuse démocrate.
Alors tu vas me dire : «Tout ça pour ça… Bon et puisque que t’es capable de trouver tes réponses tout seul, comme un grand, pourquoi venir m’emmerder avec tes considérations politiques de comptoir!?»
Et bien ma chère Myriam, c’est justement pour élever un temps soit peu le débat à l’abreuvoir que je fais appel à ta luminescence! Parce-que la médiocrité m’emmerde et la mienne plus que toute autre, parce-que je ne me sens pas toujours à ma place dans ces sabots de bœuf, et parce-qu’à défaut de me rendre libre, si je pouvais au moins briller devant mes congénères bovidés, peut-être toucherais-je l’espoir d’une herbe plus verte, et de vaches plus douces.
L’gui
*Bien qu’il n’y ait dans ce bouillon fantastique qu’un soupçon de vérité. « Sasha G. » n’est pas (hélas) le vrais nom de mon amie, qui parce qu’elle n’aime pas les oies a préféré garder l’anonymat. (PS: Bisous Claire!)
Références: Jean-Michel NAULOT, Crise financière, pourquoi les gouvernements ne font rien, Seuil