Ce dimanche comme chaque année à cette période, nous allons passer à
l’heure d’été. C’est-à-dire que nous allons perdre une heure. Pendant la nuit
de samedi à dimanche à 2h du matin, il sera déjà 3h! Cette heure convoitée
de la nuit, celle qui permet aux fêtards de sereinement reprendre un dernier
verre, aux étoiles vacillantes de se laisser tenter par une dernière danse, ou
encore aux Cendrillons d’un soir de se faire raccompagner à leur carrosse,
ces décisives 60 minutes pendant lesquelles les destins se dessinent
et Cupidon décoche à l’aveugle ses volées, ces précieuses 3.600 secondes, à
2h pile, auront comme chaque année, mystérieusement disparu! Jetant dans
le désarroi les citoyens venus comme aux dionysies célébrer le bourgeon
de la rose à 2€, le brame du Jäggermeister, la fonte des cubes de glace, en
un mot, le printemps!
Et cela ne choque personne ! Bien sûr certains s’en agacent, d’autres s’en
complaisent autour de la classique fracture nécessaire au bavardage, le
stérile débat des pour et des contre. Avec, pour n’en citer que quelques
uns, les geignards : « C’est énervant leurs magouilles là, moi avec les
enfants, je mets une semaine à m’en remettre » ; les bienheureux : « moi
j’aime bien l’heure d’été, les soirées sont plus longues » ; les confus : « Moi,
je ne sais jamais si on avance ou si on recule » ; les inutiles : « oui mais en
hiver y fait nuit tôt quand même » ; les complotistes : « paraît que ça
économise l’électricité, encore un coup des écolos ça! » Mais pas un seul de
ces tailleurs de bavettes, discutailleurs de trottoir, pas un de ces jacasseurs
de palier, ou idéologistes du sens commun, ne s’interroge! Personne n’est
choqué que chaque année, au printemps, une heure disparaisse ! J’entends
déjà les cartésiens d’comptoir, se moquer, et me dire : « Mais qu’il est con
celui-là alors ! Tu t’inquiètes pour rien ! En automne, elle va revenir ton
heure ! »
Et si cette année elle ne revenait pas !? Si cette année alors que le soleil, las
de faire au maillot des pochoirs sur notre peau se sera éloigné ; alors
qu’avec impatience, j’attendrai la première longue soirée d’hiver pour
inaugurer mon nouveau plaid tout d’alpaga crocheté, cette petite heure
(dont je suis apparemment le seul à me soucier) ne réapparaissait pas !?
Ce n’est pas que je ne lui fais pas confiance. Elle a été jusqu’à présent, et
depuis bientôt un siècle, très rigoureuse quant à la date de son retour et ce,
à la seconde près ! Mais tout de même, 6 mois de villégiature, c’est long !
On ne sait pas ce qui lui arriver en 6 mois ! Surtout qu’on ne sait même
pas où elle va pendant ces 6 mois ! Car je ne veux pas être alarmiste, mais
si pour une quelconque raison, elle se trouvait retenue, on ne saurait même
pas où aller la chercher !
J’entends encore ces bien-pensants ankylosés au j’en foutre : « Qu’est ce
qu’on s’en fout, une heure de plus, une heure de moins! Y en a des heures
dans une année, c’est pas une pauvre petite heure qui va nous
emmerder! » Mais justement! Il se pourrait bien qu’avec son mi-temps,
cette petite heure fasse des jalouses parmi ses 8.759 copines! Imaginez ce
que ça donnerait si toutes se revendiquaient soudainement de l’idée de
Franklin, et décidaient de passer l’été où bon leur semble! Il ferait nuit
noire à midi, plein jour à minuit, et je peine à m’imaginer le merdier! Et
contrairement à ce que pensent les incultes, ce ne serait pas la première fois
que l’on aurait affaire à un mouvement syndical dans le secteur! Depuis les
année de Numa à Rome alors que Jésus-Christ n’était pas près de crier, ce
genre de foutoir en a déjà fait trembler des Empires et pas de la supérette!
Alors c’est pas pour vous foutre les foies, mais je me permets tout de
même de rappeler qu’aujourd’hui encore, en plus de nos 8.760 gentilles
petites heures, on en a 24 de syndiquées qui, sous prétexte de réunions du
personnel, ne bossent qu’une fois tous les 4 ans! Et coïncidence opportune,
devinez quand elles reviennent bosser nos 24 rouges… En 2016! Pile le
centenaire de l’année où on a accordé à notre heure d’été ses 6 mois de
congé annuels… De quoi se laisser pousser les idées vous en conviendrez!
J’ose espérer que vous considérez maintenant de manière moins anodine la
disparition estivale de nos rebelles petites 60 minutes. Et c’est pourquoi il
me semble urgent, dans un premier temps, de répondre à cette légitime et
viscérale question: « Où l’heure d’été passe-t-elle l’été? »